DIGNITE’ DES OBJETS DE CULTE ADJA-EVHE’

Albert de Surgy

DIGNITE’ DES OBJETS DE CULTE ADJA-EVHE’

(articolo pubblicato in “Archeologia Africana – Saggi Occasionali” 2003-2004 numero 9/10)

Les populations riveraines du Golfe de Guinée entretiennent des rapports avec une multitude d’objets de culte qui n’ont cessé d’étonner, de fasciner, d’inquiéter, souvent même d’horrifier, les observateurs européens. Tantôt dévalorisés comme objets de curiosité plus ou moins diaboliques car incarnant de mystérieuses puissances utilisables à des fins répréhensibles, tantôt valorisés, au contraire, en tant qu’objets d’art, pour ce qu’ils ne sont pas, ils demeurent profondément méconnus.

Je me propose, ci-dessous, sur la base d’enquêtes effectuées au sein des groupes de langue évhé qui se répartissent, au Togo et au Ghana, entre l’embouchure du Mono et celle de la Volta, d’aider à comprendre ce qu’ils représentent pour ceux-là même qui en font usage. Bien entendu une telle compréhension ne vaut nullement approbation des pratiques correspondantes, mal adaptées aux conditions de vie et à la problématique de notre époque. Elle n’en est pas moins utile pour élargir notre connaissance de l’humanité et, en réaction à d’autres manières que les nôtres d’appréhender le monde, nous amène à réviser certaines conceptions philosophiques ou théologiques que nous imaginons aller de soi du seul fait que nous y avons baigné dès l’enfance.

I – Catégories d’objets à prendre en considération

Pour y voir clair dans la multitude des objets de culte observables à l’ancienne Côte des Esclaves (du Ghana oriental jusqu’au Nigéria), il me paraît nécessaire d’y distinguer trois grandes catégories.

  1. a) Des objets purement représentatifs, nous renvoyant à différentes sortes de créatures ou d’entités invisibles :

–   personnages imaginaires du monde prénatal,

–   représentants des exigences du projet d’existence ayant été élaboré au sein du monde prénatal, assimilés à des émissaires spirituels (gbetsi) de ce monde,

–   petits jumeaux de brousse invisibles (gbetôagè),

–   jumeaux humains absents ou morts,

–   esprits de mauvais morts,

–   certains ancêtres, notamment l’ancêtre tutélaire (amedzôdzô) ayant communiqué à un sujet son type d’énergie spirituelle et l’ayant accompagné prendre naissance.

1. b) Des objets de culte appelés vodu (ou trô) se présentant sous forme de simple lieu naturel délimité ou d’objet naturel, mais aussi bien d’objet résiduel ou d’objet savamment composé, rituellement transformé en symbole efficient d’une invisible puissance d’action intelligente et souveraine, assimilable à une divinité.

Il arrive par exemple qu’un individu soit soudain confronté à une singularité naturelle ou à un objet bizarre, fascinant, impressionnant fortement son imagination : vieille souche, rocher, statuette ou bijou préhistorique exhumé de terre, etc. Éclairé à ce sujet en rêve ou par les propos d’un devin, il apprend qu’une puissance vodu se signale ainsi à son attention et demande à recevoir un culte au lieu en question ou sur l’objet transformé en autel. Il ne lui reste qu’à aménager le lieu ou à mettre en valeur l’objet élu conformément aux directives qui lui sont communiquées.

Parfois l’objet transformé en vodu est une ancienne possession ou l’un des attributs d’une personne défunte. Il s’agit là d’une sorte de relique susceptible de donner accès à la puissance dont jouissait son possesseur. Il peut s’agit, en particulier, du reposoir d’une âme errante ayant été recueillie par un ancêtre. Cette âme se comporte alors en acolyte du vodu.

Dans les deux cas précédents les objets sacralisés tiennent lieu de symboles ou d’autels de vodu uniques, spécifiques d’une famille, d’un lignage, d’un clan ou d’une tribu.

Lorsque le vodu est susceptible d’être partagé entre plusieurs groupes de culte différents, autrement dit dans le cas où il recrute des adeptes en dehors des cercles familiaux, lignagers, claniques ou tribaux, lorsqu’il les recrute en particulier sur la base d’inclinations caractérielles ou d’aptitudes professionnelles, ou encore de leur affectation par une maladie ou tel ou tel genre de malheur, alors l’objet de culte, destiné à être répliqué en plusieurs exemplaires est un objet que l’on fabrique. Il s’agit essentiellement d’une composition savante d’ingrédients en sympathie avec les caractéristiques spirituelles de la puissance.

  1. c) Des objets appelés bo, ou assimilés en tant qu’instruments rituels à des bo, permettant d’exercer un charme magique par enchantement, subjugation, asservissement ou ligature symbolique de certains esprits (esprits de vivants, esprits de la nature ou esprits de mauvais morts). Ce sont des objets transportables, de taille réduite, pouvant être possédés en grand nombre par un même individu. Ils sont pour la plupart noircis, enduits de sang, et portent souvent collées sur eux des plumes de volailles leur ayant été sacrifiées.

De tels objets nous renvoient à des sortes d’armatures psychiques désincarnées ou à des mobilisations psychiques errantes devenues sans objet après la mort des individus en ayant été les auteurs. Ils sont utilisés pour écraser, blesser, intimider, asservir ou amadouer des corps spirituels. Les puissances, très spécialisées, auxquelles ils donnent accès ne sont pas intelligentes. Elles réagissent automatiquement, à la manière d’animaux dressés, aux ordres de ceux qui en disposent.

Ils peuvent servir à :

–   pratiquer une divination élémentaire par enchantement du propre esprit du devin et renforcement de ses capacités d’intuition,

–   provoquer une chute de pluie,

–   se protéger des sorciers,

–   écarter divers vecteurs spirituels de maladies ou d’événements douloureux,

–   s’attirer la sympathie d’autrui,

–   embobiner ou subjuguer ses rivaux, son patron, une femme convoitée, etc.,

–   paralyser ou agresser ses ennemis, leur attirer des accidents, les rendre fous ou malades, à la limite les faire périr.

Leur efficacité dépend théoriquement aussi d’ingrédients dont quelques-uns sont semblables à ceux utilisés pour composer des vodu, mais dont plusieurs autres évoquent assez précisément les résultats escomptés.

Cependant les distinctions précédentes se compliquent du fait que :

–   certains vodu peuvent être identifiés par des statuettes anthropomorphes tandis qu’à l’inverse des figurations d’ancêtres tutélaires peuvent être complétées par des restes d’objets magiques ayant été utilisés par eux,

–   les vodu s’entourent souvent, à titre de soldats, policiers et commissionnaires, de puissances magiques de la catégorie des bo ainsi que d’esprits errants désincarnés,

–   des bo ou des collections de bo peuvent se transformer en vodu une fois associés à l’âme défunte de la personne les ayant acquis ou dès lors que l’on se propose de vénérer en eux le principe de constitution de l’énergie spirituelle mobilisée dont ils permettent de tirer profit.

II – Composition et esthétique de ces objets

Les statuettes représentatives de personnes humaines (de jumeaux par exemple), de personnages imaginaires du monde prénatal (notamment du conjoint idéal appelé dzôgbemesrô ou ñôlimesrô) ou encore de vodu sous la forme qui leur est attribuée par l’imagination populaire, sont certes confectionnées avec plus ou moins d’habileté et un certain souci de perfection artistique.

Les objets qui, chez certains groupes voisins du Mono, représentent un ancêtre protecteur (notamment l’ancêtre tutélaire) se résument en des sortes de piquets à tête humaine, dépourvus de bras ou aux bras confondus avec le buste. Néanmoins ils sont fabriqués eux aussi avec plus ou moins de soin, pour plaire aux regards des passants ou des visiteurs.

Ceux qui représentent des esprits (appelés luvhô, d’un mot désignant également une ombre portée ou une silhouette) consistent en de grossières ébauches de silhouettes humaines ne comportant systématiquement aucun détail.

Les objets représentatifs d’émissaires du monde prénatal ou de substituts du sujet recherché par de tels émissaires sont le plus souvent confectionnés en argile fraîche, non cuite, matériau caractéristique du sein de la terre. De facture grossière, ils sont destinés à être abandonnés à l’issue d’un rite de détournement du mal.

Quant aux lieux ou aux objets naturels sacralisés, ils n’ont pas été choisis pour leur beauté mais en raison du sentiment d’étrangeté, de l’émotion ou de l’inquiétude qu’ils suscitent naturellement ou du fait des événements qui s’y sont déroulés ou auxquels ils ont été mêlés.

Ne posent problème, d’un point de vue esthétique, que les objets de culte artificiels de la catégorie des bo ou des vodu se laissant pertinemment désigner, me semble-t-il, par le terme de fétiche.

En effet de tels objets sont essentiellement constitués d’une mixture d’ingrédients qui ne se donnent pas à voir. Nous n’en apercevons jamais que l’emballage ou les accessoires qui leur sont adjoints afin de pouvoir les localiser et les identifier.

Ces ingrédients sont essentiellement végétaux. Il s’agit surtout de feuilles, mais parfois aussi de racines, d’écorces, de fruits ou de graines, etc. Ils ne sont pas traités en représentants de plantes particulières mais en évocateurs des vertus attachées aux espèces d’où ils proviennent.

Y figurent souvent aussi des restes d’animaux : petits animaux entiers desséchés, morceaux de peau ou griffes d’animaux féroces, têtes de serpents, coquilles d’escargots, morceaux de termitière ou de nid de fourmis arboricoles, plumes d’oiseaux singuliers, moustaches ou poils de quadrupèdes, notamment de l’écureuil fouisseur de savane, etc. On les juge imprégnés du caractère et du type de force de l’espèce animale correspondante. Ils ne sont jamais utilisés pour commander un travail à l’esprit désincarné de la créature dont ils faisaient partie du corps.

Peuvent en outre y figurer des cadavres crus d’animaux de petite taille, égorgés ou enterrés vivants, dont on pense que l’esprit désincarné sera capable d’exécuter dans l’invisible, au profit de la puissance à laquelle ils seront attachés, des fonctions d’information, de communication ou de transfert d’énergie.

Y figurent éventuellement aussi des éléments minéraux : pierres singulières, particules de mica, concrétions blanches exhumées du sol par les cultivateurs, eaux de certains fleuves, etc. Ils sont traités en produits d’un certain souffle réalisateur ou en restes d’un processus physique ayant été dirigé ou influencé lui aussi par des agents spirituels.

Cependant dans la composition des bo entrent de surcroît des éléments caractéristiques d’une orientation des forces spirituelles sollicitées vers certains types d’événements. Nous y trouvons notamment des restes d’objets ou de substances ayant subi l’influence de certains êtres ou de certaines activités (morceaux de vêtements portés par une évocatrice des défunts, poussière ou détritus du marché, etc.) ou ayant été fabriqués et de préférence utilisés dans une intention précise (cadenas, serrures, hameçons, fusil miniature forgé à partir d’un morceau de vrai fusil ayant explosé, morceau de corde ayant servi à attacher les bagages sur la galerie d’un minibus). Quand ils n’ont pas subi l’influence d’une créature vivante, ils peuvent avoir subi celle d’une divinité (morceau de rideau de porte de sanctuaire) ou celle d’une âme errante ou d’un esprit de la nature ayant résidé à leur emplacement ou à proximité immédiate. Ceux qui ne paraissent marqués par personne n’en évoquent pas moins un certain genre d’action ou d’accident (racines barrant un chemin ou, au contraire, longeant un chemin, herbes ayant poussé les entre les rails du chemin de fer ou à l’emplacement d’une tombe de mauvais mort).

Y figurent parfois aussi des restes humains (ossements, cheveux, morceaux de peau…). De tels restes ne servent nullement à entrer en rapport avec l’esprit du mort correspondant. Ils ne nous renvoient qu’au type de malheur ou de bonheur éprouvé par lui ou au genre de puissance dont il disposait en raison de ses connaissances ou de son autorité.

Les ingrédients d’un bo sont le plus souvent enfermés dans un sac, dans une poterie ou dans tout autre récipient (calebasse, bouteille…). Cependant il leur arrive d’être insérés dans le corps d’une statuette ou de lui être attachés au cou ou aux flancs une fois convenablement enveloppés. Une telle statuette représente soit le type de personne visée, soit le type de force ou d’agent spirituel que l’on cherche à mettre en œuvre, soit encore l’effet recherché : par exemple la capture d’une personne ou son asservissement à une autre.

Les ingrédients d’un vodu peuvent pareillement être enfermés dans un récipient, alors déposé sur une estrade, une étagère ou un piquet fourchu. Cependant ils sont le plus souvent enterrés sous un objet figuratif en bois, en terre pétrie ou en ciment ou sous un vulgaire monticule portant à son sommet ou sur ses flancs des décorations caractéristiques. De telles représentations et décorations sont évidemment plus ou moins soignées, plus ou moins belles ou impressionnantes, mais ne sont jamais considérées comme essentielles. Elles ne sont comparables qu’à celles d’une boite attirant l’attention des consommateurs sur la nature et les propriétés du médicament qu’elle contient.

De surcroît on trouve généralement associés à un vodu, déposés sur lui, accrochés à lui, incrustés dans ses flancs ou abandonnés au sol contre lui, divers objets hétéroclites :

–    accessoires rituels (couteaux, clochettes, cannes, verres, écuelles…),

–    éléments décoratifs en rapport avec le caractère et les capacités d’action de la puissance (collier de coquilles d’escargot, lunettes de soleil  symboles de fer forgé…),

–    restes d’offrandes sacrificielles,

–    restes de produits ayant été employés ou fabriqués lors de précédentes cérémonies (au cas où ils pourraient être réutilisés, on a évité de les jeter),

–    objets abandonnés à titre d’ex-voto par des malades guéris (chapeau, sandalettes, sac de voyage…).

Ce n’est qu’à ce niveau : celui de leur emballage, de leur identification et des accessoires matériels qui leur sont adjoints, que nous pouvons parler d’une esthétique particulière des fétiches souvent présentée comme une «esthétique du désordre».

Enfin, dans un même sanctuaire, plusieurs vodu, éventuellement complétés par des bo, sont généralement installés ou entreposés sans souci apparent de cohérence et selon une hiérarchie singulière, chacun d’eux ayant été adopté par le sujet comme solution à une épreuve plus ou moins sévère que son destin le prédisposait à affronter.

L’esthétique d’un tel sanctuaire obéit à une logique analogue à celle qui préside à la disposition des objets dans l’atelier d’un inventeur ou le bureau d’un intellectuel. Cette disposition, en effet, y est généralement le fruit d’une accumulation d’éléments en rapport plus ou moins direct avec une recherche ou une activité déterminée. Qu’une personne bien intentionnée (épouse, femme de ménage) s’avise d’y mettre de l’ordre et l’occupant habituel ne s’y retrouve plus: le lieu perd pour lui de son charme et il ne s’y sent plus bien.

À une composition épurée, bien ordonnée, évocatrice d’une idée à contempler, s’oppose ici un surprenant ou inquiétant désordre caractérisant l’histoire d’une personne ou d’une série de problèmes auxquels elle a été confrontée. Ce qui nous est montré ne nous oriente vers aucune généralité mais nous confronte à une singularité, à une certaine manière d’être concerné par le monde et de lui faire face. Rien n’est fait pour nous distraire de l’incohérence et de l’inhumanité du monde par l’évocation apaisante de quelque forme pure. Nous sommes au contraire interpellés, émus ou choqués par un arrangement d’ouvertures vers l’au-delà ne convenant qu’exceptionnellement à notre personnalité.

III – Les puissances auxquelles ces objets donnent accès

Il est clair que tout objet sacré élu spontanément comme autel par une puissance invisible sert avant tout de point d’accès à cette puissance.

Il est également clair que toute relique sacralisée a pour fonction majeure d’évoquer l’esprit ou la puissance qui y était attachée.

Un problème de statut et de fonction ne se pose que pour les objets de culte composés de main d’homme méritant d’être appelés fétiches. Renvoient-ils eux aussi à quelque chose d’autre ou ne renvoient-ils qu’à eux-mêmes ? Sont-ils immédiatement efficaces ou ne servent-ils que de moyen d’accès à des puissances autonomes ?

Les ingrédients rassemblés pour constituer de tels objets sont choisis pour autant qu’ils conservent, dans leur structure intime, l’empreinte des forces créatrices ou réalisatrices, ayant contribué à donner forme à l’ensemble dont ils proviennent. On les juge capables d’intensifier autour d’eux, comme par résonance, des forces d’inclination subtiles se trouvant en harmonie avec eux.

Tout fétiche possède de la sorte une certaine efficience par lui-même. Il crée autour de lui une certaine ambiance, à laquelle d’ailleurs les rites contribuent. Il permet d’aménager une atmosphère spirituelle favorable ou défavorable à certains événements objectifs ou purement psychiques.

Néanmoins il est fondamentalement conçu pour donner accès à une puissance spirituelle ou surnaturelle préexistant quelque part indépendamment de lui.

Entrer en relation avec lui permet au sujet de se pénétrer d’un certain état d’esprit, d’un certain style d’action ou d’expression le rendant sympathique à une telle puissance et lui permettant de s’en approcher.

Il n’en est pas moins indispensable d’obtenir l’agrément de la puissance visée pour établir un lien réel avec elle. Le sujet devra accepter son invitation pressante à lui rendre un culte ou obtenir d’elle, par l’intermédiaire d’un devin, l’assurance d’une protection dont elle n’a pas pris l’initiative. Généralement à l’occasion d’un rite de confection et de consécration de l’objet par une personne ayant déjà contact avec elle, une parole plus ou moins mystérieuse, qui en constitue l’intitulé magique, sera révélée au récipiendaire, à l’énoncé de laquelle elle acceptera de se mobiliser en sa faveur conformément à la demande qui lui sera exposée.

En aucun cas l’objet de culte magico-religieux n’est fabriqué techniquement par application d’un code symbolique nous renvoyant à un signifié. Nous ne pouvons parler de code symbolique qu’au niveau de l’identification de la puissance par un emballage, un enrobage ou une adjonction d’accessoires. La puissance ne réagit qu’à l’énoncé rigoureux de son nom. Cependant un tel nom est arbitraire, de pure convention entre elle et le sujet. Nous constatons qu’il peut varier d’un lieu à un autre et au cours du temps.

Effectivement nul ne peut inventer de fétiche à sa convenance. Ou bien il faut aller acquérir celui-ci ou celui-là après de quelqu’un qui en possède déjà un exemplaire, ou bien il faut en recevoir la révélation par un de ses ancêtres, le plus souvent son ancêtre tutélaire (amedzôtô), ou par un génie de brousse (aziza ou gbetôagè).

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, les fétiches ne sont pas identifiables à l’aide des éléments, néanmoins essentiels, dont ils se composent. En effet de nombreux fétiches d’une même classe, bien différents les uns des autres, se trouvent fabriqués en puisant dans une collection restreinte de plantes réputées pour leur puissance. Par ailleurs des fétiches de même nom, remplissant des fonctions identiques, ne comprennent parfois aucune plante commune. Enfin il est toujours possible de suppléer au manque de force d’un fétiche en y incorporant une ou plusieurs nouvelles plantes choisies après avoir recueilli, à ce sujet, l’avis d’experts parfois très éloignés.

En détruisant ce qui matérialise un fétiche on ne supprime nullement la puissance qu’il permet d’exercer. Rien n’interdit, après profanation ou accident, de reconstituer au même endroit le même fétiche. Par ailleurs, sans supprimer l’objet, il est jugé possible de le neutraliser, lui et tous les exemplaires analogues qui en ont été diffusés, par suppression de la puissance à laquelle il se rapporte ou annulation de tout droit à l’utiliser. Des familles entières de bo ou de vodu dont l’usage s’est révélé nuisible à une communauté peuvent de la sorte être anéanties. Dans la partie sud-ouest du Togo il suffit pour cela d’apporter l’un des objets qui les matérialisent ou leur sont intimement liés dans la forêt sacrée de la divinité royale Nyigblin, à Bê, ou chez l’un des prêtres ordinaires du même Nyigblin, à Togoville, où le responsable du culte, après avoir exécuté les rites nécessaires à son invalidation, l’enterre sur place sous la bonne garde de son dieu.

L’expression de «dieux-objets», employée par Marc Augé pour désigner les fétiches, me paraît donc regrettable.

Néanmoins les puissances auxquelles ils renvoient n’ont pas le statut de divinités éternelles (1) Elles constituent un ensemble en évolution permanente, parallèle à celle de la société, composé d’émanations ou de créatures de Dieu, mais surtout de fruits éloignés de la désincarnation des âmes humaines, et il ne viendrait à l’idée de personne de confondre l’une d’elles avec Dieu lui-même (Mawu, l’indépassable).

Celles qui se révèlent incapables de satisfaire les vivants sont délaissées par eux et disparaissent de la scène.

De nouvelles ne s’imposent jamais à eux, soit en les perturbant, soit en leur étant révélées par leurs génies ou leurs ancêtres, que dans la mesure où elles peuvent satisfaire leurs besoins.

De même que le peuple des ancêtres se renouvelle à chaque génération, les ancêtres proches chassant devant eux les plus éloignés jusqu’à les repousser derrière l’horizon de la mémoire, le peuple des puissances magico-religieuses utilisables ne cesse lui aussi de se renouveler. Ce qui peut induire à ce sujet en erreur est que certaines divinités interlignagères se laissent classer dans des catégories qui perdurent aussi longtemps et à aussi longue distance que le système de pensée correspondant. Tel est le cas pour certains grands vodu nommés d’après le nom de la catégorie à laquelle ils appartiennent. C’est ainsi que les vodu s’affirmant sous les apparences de la foudre ou du serpent forment souvent des familles de sept vodu (autant que de catégories d’énergie spirituelle) dont les noms varient d’un lieu à un autre. Ce n’est qu’au terme d’un effort d’abstraction que l’on en arrive à hypostasier derrière un groupe de divinités présentant des caractéristiques voisines une divinité singulière permanente.

IV – Les conceptions qui en justifient l’usage

On ne saurait bien comprendre les objets de culte de la région considérée en les isolant du système religieux des populations qui les vénèrent.

  1. La croyance en un principe divin d’opposition au mal

Ces populations valorisent la vie sur terre. Elles souhaitent trouver satisfaction dans l’existence. Cependant les satisfactions qu’elles recherchent ne sont pas purement matérielles. Elles proviennent surtout de l’estime d’autrui, donc d’une étroite conformité à la morale collective, et du sentiment d’avoir joué correctement son rôle en réalisant au mieux, compte tenu de ses aptitudes, un ensemble d’idéaux préconçus. La perspective de joies posthumes dans une sorte de paradis n’est pas de nature à leur faire accepter, à titre d’épreuve méritoire, les souffrances et les déceptions de la vie quotidienne. De leur point de vue la manifestation concrète surpasse ce qui demeure en puissance. L’être est voué à l’existence et ne témoigne de ses insondables vertus qu’à travers celle-ci. Son premier devoir est de réussir ce qu’il entreprend pour s’attirer le respect. Une divinité qui n’aiderait personne à accomplir sa destinée serait jugée indigne d’être prise en considération. À défaut de révéler concrètement ses capacités, elle n’existerait que virtuellement, en marge de ce qui compte, en marge du réel. Seul un Dieu concerné par le bien-être de ses créatures mérite qu’on entre en relation avec lui, qu’on l’invite à venir siéger au poste de direction de soi-même et qu’on s’y efface devant lui.

Ce n’est pas à de suaves entités que l’homme est immédiatement confronté, à une cohorte d’anges, à de doux protecteurs célestes vers lesquels se tourner ou dans les bras desquels prendre refuge, mais à une multitude de fléaux, à l’échec, à la maladie, à la méchanceté, à l’injustice, bref à un empire du mal dont nul se saurait sans déchoir se résigner à la victoire. Une voix secrète lui susurre que cette victoire n’est pas acquise, qu’elle ne serait pas normale, et le pousse à la révolte. Pour lui permettre de s’opposer à la destruction et au chaos, comme de résister à toute tentation de capituler devant les puissances ténébreuses ou maléfiques, ne saurait donc manquer de subsister quelque part, à sa disposition, des puissances d’ordre et de clarté lui conférant la capacité de faire de son existence non seulement l’expression cohérente de quelque chose (celle du personnage dont il joue le rôle sur la scène du monde), mais encore l’expression de son être même (celle de ses talents d’acteur). À de telles puissances dissimulées, devant nécessairement lui être révélées, il accepte volontiers de rendre un culte et assimile leur source transcendante à l’Être divin.

En définitive le Dieu de la portion d’Afrique considérée n’est autre, en l’homme, que le principe universel de redressement qui s’horrifie de l’insinuation permanente du mal dans le monde. Ce Dieu ne s’affirme que secondairement, en réaction aux tentatives de domination d’un principe contraire au bon ordre des productions de la nature. Ayant besoin d’un tel principe pour s’imposer, il le fait exister tout premièrement par un acte d’abandon, hors de sa sphère de gouvernance, d’une impulsion fondamentale aux actes de méchanceté, de destruction, de corruption et de privation de vitalité. Il s’agit là d’une sorte de sacrifice primordial, par amputation délibérée d’une partie de son pouvoir, symbolisé par l’envol mythique de l’oiseau nocturne des sorciers hors de la calebasse maternelle du monde (2).

  1. b) L’homme jugé dépendant d’une multitude de puissances

Dès lors qu’il a consenti à la sorcellerie, Dieu est en état de faire apparaître l’homme et toutes les puissances qui, mises à sa disposition, lui permettront de coopérer librement au parachèvement de sa création.

Selon le système de pensée qui prévaut dans l’aire culturelle adja-évhé, toute âme humaine est d’abord introduite par Dieu dans un invisible monde, dominé par une Mère universelle appelée en évhé Bomenô ou Ñôlimenô, où elle s’élabore, en imagination, une existence de référence. Elle s’en échappe bientôt pour prendre vie sur terre, mais doit traverser tout d’abord une étendue analogue à celle de l’espace sauvage (de brousse et de forêt) qui sépare les terres du village de la frontière orientale du monde matérialisée par l’un des fleuves qui, dans la région, coulent du nord au sud. De son existence préalable au royaume de la grande Mère, appelé amedzôphe ou monde de l’origine, le sujet conserve une détermination fondamentale, appelée dzôgbe ou détermination originelle, dont le symbole naturel est le placenta. Tout ce qui le concerne sur terre, qui le heurte ou vers lequel il se dirige, n’est que l’une des réalisations possibles des potentialités qu’il a engrangées dans ce dzôgbe (3).

Nous devons donc prendre en considération:

–   un monde de l’origine qui est celui de la conception des phénomènes,

–   un monde terrestre qui est celui de la réalisation des potentialités élaborées dans ce tout premier monde,

–   et un monde intermédiaire dont la traversée est analogue à une phase de gestation séparant la conception de la naissance, c’est-à-dire de l’apparition au grand jour.

Une fois sur terre, séparé du monde de l’origine, et donc de son dzôgbe (comme séparé du placenta après coupure du cordon ombilical), par ailleurs incapable de discerner ce qui se passe dans le monde intermédiaire, l’homme ne serait rien de plus qu’un vulgaire objet de la nature, incapable de maîtriser son existence, si ses ancêtres et un génie personnel qui lui est adjoint par Dieu lui-même ne lui permettaient d’entrer en rapport avec une multitude de puissances qui gouvernent dans le secret ce qui lui advient.

Parmi ces puissances, les unes, telles les vodu, lui permettent de cultiver à la source l’expression des invisibles ressources qu’il s’est choisies ou que l’univers tient pour lui en réserve. Ce faisant, elles amorcent à son intention, spontanément ou à sa demande, mais parfois aussi à la demande de ses ancêtres, l’envoi au monde de phénomènes normalement inattendus.

Les autres, notamment les bo, lui permettent d’éviter les accidents de parcours de tels phénomènes ou de se protéger de phénomènes indésirables qui se dirigent vers lui. Elles agissent à cet effet sur les divers facteurs spirituels qui interviennent dans leur phase de gestation.

Certes quelques populations, plus à l’est, tout aussi grandes utilisatrices d’objets magico-religieux analogues, ne se réfèrent pas explicitement à une existence préalable dans un monde de l’origine. Cependant elles n’en distinguent pas moins, semblablement, deux sortes de puissances immatérielles, actionnables ou sollicitables par les vivants : les unes ne sont capables que d’interventions ponctuelles, magiques, sur le cours des événements, et ne modifient en aucune manière le sens de l’existence, les autres interviennent plus profondément, à la racine même d’élaboration des événements, jusqu’à modifier ce que les événements représentent, et mettent donc en jeu non seulement des forces mais des symboles.

Bien qu’il soit totalement dépendant de telles puissances, l’être humain n’en a pas moins la liberté d’accepter ou de refuser les secours qu’elles lui proposent. Foncièrement incapable de modifier les volontés manifestées à son égard par Dieu et ses acolytes, il porte l’entière responsabilité de s’ouvrir ou de se fermer aux effusions spirituelles qui en émanent, de se prêter ou non aux transformations bénéfiques de son existence qu’ils daignent amorcer à son profit, enfin d’actionner ou de négliger les moyens occultes qu’ils lui indiquent pour réaliser au mieux son projet d’existence (4).

V – L’approbation divine du recours aux fétiches

Il convient d’insister sur le fait que, du point de vue traditionnel, le recours aux puissances accessibles par les fétiches ne s’oppose en rien au service de Dieu.

  1. a) Les fétiches aident le sujet à mieux s’accomplir

À défaut de pouvoir être secouru par des puissances mises à sa disposition pour lutter contre des entités foncièrement maléfiques ou contre des forces mobilisées contre lui par des esprits méchants, le sujet humain, privé de tout levier d’action sur le monde, ne serait qu’un être fictif, dénué de réalité. Seul celui qui se risque à recourir religieusement ou magiquement à de telles puissances qui le dominent ou dont il serait autrement le jouet se rend agréable à Dieu. En effet il contribue ainsi à parfaire une création destinée à rendre gloire à son auteur. De surcroît, à l’occasion des rapports sacrificiels qu’il lui faut établir avec elles, il ne cesse de s’enrichir en énergie spirituelle de diverses sortes symbolisées par les couleurs de l’arc-en-ciel, jusqu’à atteindre éventuellement la complétude spiri­tuelle symbolisée par la lumière blanche.

Immanent dans le cœur de l’homme, Dieu (Mawu) l’invite, tant pour réaliser au mieux la destinée qu’il s’est choisie que surtout pour s’épanouir spirituel­lement, à demander, au moyen de fétiches, aide et protection à de bienveillantes puissances immatérielles.

Certains objecteront que mieux vaut ignorer de telles puissances et s’en remettre à Dieu seul pour traiter avec elles. À cela les meilleurs représentants de la tradition adja-évhé répondront qu’un acte de soumission à Dieu ne saurait aller de pair avec une méconnaissance totale de ses puissances auxiliaires, ni se résumer à une confortable passivité. De leur point de vue il convient de coopérer activement avec Dieu, tant pour répondre à ses avances que pour lui transmettre, ou transmettre à ses représentants, des demandes précises. Ils feront valoir que pour se libérer, notamment dans le rapport à Dieu, de liens encombrants à certaines entités invisibles, il ne convient pas de les ignorer mais d’en prendre connaissance jusqu’à éprouver, par expérience, les limites des relations entretenues avec elles. Ils ajouteront que les rapports qu’ils établissent avec des esprits ou des puissances surnaturelles leur ont été recommandés par cette précieuse émanation de Dieu qu’est leur génie personnel, systématiquement consulté par divination au moindre problème, et qu’en obéissant aux directives de ce dernier c’est finalement à Dieu qu’ils se soumettent.

Les puissances ainsi prises en considération ne sont nullement perçues par eux comme des obstacles devant Dieu mais, de même qu’on ne s’approche d’un roi qu’introduit auprès de lui par une hiérarchie de serviteurs et de dignitaires qui composent sa cour, ils estiment qu’on ne saurait accéder au souverain suprême du monde qu’après être entré en contact et en négociation avec les nobles âmes et les puissances divines qui l’entourent.

  1. b) Les fétiches n’ont aucune liaison particulière avec le mal

On reproche souvent aux fétiches, du moins à ceux de la catégorie des bo, de servir principalement à faire le mal.

Nul ne saurait nier qu’ils sont souvent utilisés par les hommes pour nuire à certains de leurs semblables. Ils représentent cependant des puissances qui ne sont en elles-mêmes ni bonnes ni mauvaises. Seul l’usage qui en est fait peut être jugé bon ou mauvais. Il en va de même pour toute puissance physique. Le feu qui peut servir à incendier la maison du voisin n’est pas condamnable pour autant : il permet aussi bien de se chauffer et de cuire des aliments. S’abstenir de recourir à des fétiches apparaît à un Africain aussi sot que de s’abstenir de tirer profit des énergies naturelles. De son point de vue nous nous rendons coupables de négligence si nous ne fournissons nous-mêmes aucun effort pour nous protéger de multiples nuisances spirituelles, mais surtout si nous méprisons les faveurs matérielles, et parallèlement les grâces, que les ancêtres et les divinités vodu sont disposés à nous accorder.

Il est vrai que, sous les effets cumulés de la colonisation, de la christianisation, de l’éducation occidentale, de la mondialisation des marchés et de l’accroissement de l’individualisme, la religion traditionnelle n’a cessé de péricliter et que n’en subsistent de plus en plus que les aspects mineurs les plus critiquables : ceux qui permettent à un individu de survivre dans une société décomposée de plus en plus cruelle en s’appuyant sur toutes sortes de moyens magiques d’attaque ou de défense. Il est vrai que des familles entières, voire des villages entiers, comme grisés collectivement par la jalousie et la haine, se livrent sans retenue à des pratiques maléfiques. Cependant de telles déviations n’autorisent pas à condamner sans discernement la religion dans le cadre de laquelle elles sont concevables, mais qui par ailleurs les réprouve.

Pour un Africain de la région, le bien consiste à réaliser au mieux, en pactisant avec des puissances spirituelles ou surnaturelles, conformément aux conseils de son génie, l’idéal d’existence qu’il a conçu, avant de venir au monde, dans le royaume de la grande Mère. Chacun est invité à cultiver à la perfection les productions de la portion de nature qu’il s’y est attribuée et tous les moyens utilisables à cette fin sont estimés bons pourvu qu’ils n’entravent pas, par malin plaisir, la réalisation de la destinée des autres.

Chacun a le droit de jouer des coudes et de bousculer autrui pour tracer sa voie. À autrui de trouver la force de lui résister pour tracer aussi sa propre voie. En définitive ce n’est pas le résultat qui importe mais essentiellement le déploiement des forces auxquelles, pour lutter, le sujet aura dû faire appel et dont son âme se sera à terme enrichie. En revanche nul n’a pas le droit de s’attaquer aux ressorts intimes d’autrui, à sa personne même. Il ne doit entrer en rivalité avec lui qu’au niveau de l’expression des idéaux d’existence. Si, au lieu de construire sa propre vie en répondant favorablement à l’incitation divine de contribuer au parachevement du monde, il s’avise d’utiliser les puissances dont il dispose pour anéantir les réalisations des autres ou rendre leurs réalisations impossibles en les dévitalisant, en les rendant malades, en semant la zizanie dans leurs familles, en faisant périr leurs enfants et leur bétail, en attirant les rongeurs sur leurs récoltes, etc., il se condamne à être rejeté par Dieu et par ses ancêtres, au point d’être transformé après sa mort en esprit serviteur du principe pervers ayant inspiré ses actions, principe qui n’est autre que celui de la sorcellerie.

Alors que la sorcellerie, caractérisée par une infection de l’individu par un esprit gagné à sa cause, reste fondamentalement mauvaise et n’a nul besoin de fétiche pour se propager et devenir opératoire, les fétiches représentent des puissances neutres grâce auxquelles on peut, à volonté, bien agir ou mal agir. Grâce à eux l’homme a le choix de servir Dieu et l’ordre cosmique ou, au contraire, de propager le mal en cédant au principe destructeur qui a pour repaire l’en-dehors chaotique du monde et par réaction auquel le monde se construit.

Tout compte fait, les fétiches d’Afrique noire, en dépit de leur liaison avec des pratiques archaïques, telles que le sacrifice sanglant et, avec des structures sociales difficilement compatibles avec les formes de vie modernes, demeurent dignes de considération. Leur étude, d’autant plus stimulante qu’elle défie constamment nos préjugés ethnocentriques, nous aide en effet à remettre en cause les idées que nous nous faisons de Dieu, du monde, de l’âme humaine, de notre place dans le monde et des forces qui gouvernent notre existence. Elle ne peut que contribuer à enrichir, de la sorte, nos conceptions métaphysiques et religieuses.

Notes

(1) A fortiori en va-t-il de même pour les puissances dont les autels ne sont pas assimilables à des fétiches. Chaque lignage a son protecteur particulier. L’extinction d’un lignage implique l’extinction de sa divinité tutélaire. Sauf alliance préalable, cette divinité ne proposera ses services à aucun autre lignage. Lorsqu’une branche familiale acquiert son autonomie, elle doit se découvrir, sur les indications de ses propres ancêtres, une nouvelle divinité à sa convenance.

(2) Se reporter, à ce sujet, à Bernard Maupoil: La géomancie à l’ancienne Côte des Esclaves, Paris, Institut d’ethnologie, (1943) 1988, aux pages 84 à 111, et à Pierre Verger : «Grandeur et décadence du culte de Iyami Osoronga, ma mère la sorcière, chez les Yorouba», Journal de la Société des Africanistes, 1965, aux pages 141 à 157.

(3) Au sortir du monde de l’origine l’homme n’existe qu’à l’état d’embryon triplement composé d’éléments prélevés dans le dépotoir des existences, d’un arrangement singulier de tels éléments lui constituant un idéal d’existence, enfin d’une énergie spirituelle singulière de réalisation des potentialités qu’il s’est ainsi attribuées.

(4) Selon une telle conception, il y a bien prédétermination du sort des âmes (mais non prédestination intégrale car seul le cours de leur existence terrestre est orienté par leurs choix prénataux), mais entière liberté pour elles d’entraver ou de favoriser, par leur comportement, ce que leur réservent des volontés divines dont elles ne sont en rien responsables. Ce n’est ni au contenu objectif de leur existence, ni à la grandeur des intentions de Dieu à leur égard (exprimées par le génie personnel qu’il délègue auprès de chacune d’elles), mais à leurs actes de rébellion ou à leur soumission aux directives des puissances sacrées se proposant de les prendre en charge, que se mesurent leurs mérites et leur degré d’épanouissement spirituel.

Bibliographie

On trouvera une bibliographie assez complète sur la question à la fin des articles réunis par Giovanna Parodi da Passano dans Évhé-Ouatchi. Un’estetica del disordine, Centro Studi Archeologia Africana, Milano, 2004.

Outre au contenu de cet ouvrage, on pourra se reporter principalement à:

– «Fétiches I. Objets enchantés, mots réalisés» et «Fétiches II. Puissances des objets, charme des mots», Systèmes de pensée en Afrique noire, numéros 8 et 12, Ivry sur Seine,1987 et 1993 (textes réunis par Albert de Surgy),

– SURGY, Albert de :

  1. a) Le système religieux des Évhé, L’Harmattan, Paris, 1988
  2. b) Nature et fonction des fétiches en Afrique noire. Le cas du Sud-Togo, L’Harmattan, Paris, 1994.